Les cépages qui refusent de crever

Les cépages qui refusent de crever:

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Les raisins mutants font leur come-back

Un soir d’été, en terrasse, quelqu’un lâche entre deux gorgées :

« Moi, j’aime pas les vins trafiqués. »

Et je me marre. Parce que ce qu’on appelle “trafiqué”, c’est parfois juste l’avenir qui toque à la porte.

Je parle des cépages résistants. Ces raisins un peu marginaux, longtemps laissés dans l’ombre, qui ressurgissent aujourd’hui comme des punks du vignoble. Ils ont des noms qui claquent comme des personnages de BD : Floréal, Vidoc, Voltis, Souvignier gris. Rien que ça, on dirait une équipe de super-héros oubliés par Marvel.

Pendant des décennies, la vigne a été un peu comme une diva capricieuse. Magnifique sur scène, mais fragile en coulisses.

Mildiou, oïdium : chaque année, les maladies rôdent comme des paparazzis qui guettent la moindre faiblesse. Et pour la protéger, on l’a couverte de traitements. Soufre, cuivre, produits phytosanitaires en cascade. Résultat : des vignerons qui passent leur vie sur leurs tracteurs, et des sols parfois lessivés par tant de chimie.

Les cépages résistants, eux, débarquent avec une autre attitude. Ils n’ont pas besoin de dix-huit pulvérisations pour survivre à l’été. Ils encaissent. Ils disent non aux champignons, presque comme si la maladie rebondissait sur leur peau. Ce sont des raisins avec une carapace invisible, une sorte de superpouvoir végétal.

Mais comment on fabrique un super-héros de la vigne ?

On ne parle pas de vin OGM ou de manipulations folles en laboratoire. La recette est plus artisanale qu’on ne l’imagine. Depuis plus d’un siècle, des chercheurs croisent la vigne européenne (celle qu’on connaît, avec ses pinots, ses chardonnays, ses syrahs…) avec des vignes venues d’Amérique ou d’Asie, naturellement plus costaudes face aux maladies. On les marie, on sélectionne les descendants, on garde les plus solides, on recroise encore… Et génération après génération, on obtient des cépages capables de pousser sans trembler devant le mildiou.

C’est long, fastidieux, parfois ingrat. On peut mettre vingt ans avant de voir un cépage viable sortir de terre. Mais derrière chaque nom un peu futuriste, Floréal, Artaban, Vidoc, il y a ce travail patient, cette alchimie de croisements, d’essais, d’erreurs. Des vignes hybrides, oui, mais obtenues à l’ancienne : à la main, à force de persévérance.

Ce n’est pas un hasard si on les appelle “résistants”. Le mot résonne au-delà du vignoble.

Résister, c’est tenir debout quand tout s’effondre. C’est affronter un climat qui chauffe, des saisons plus brutales, des étés trop secs, des hivers trop doux. C’est protéger les vignerons de la folie des calendriers de traitement, leur donner un peu de répit. Résister, c’est aussi offrir un vin qui raconte une autre manière de travailler la terre, moins lourde, moins dépendante.

Je me souviens d’un verre de Voltis dégusté dans le Sud-Ouest. Une claque. Pas un grand vin, pas une symphonie, mais une fraîcheur insolente, une acidité joyeuse, des arômes de pomme verte et de fleurs d’acacia. Et surtout, le vigneron me dit :

« Cette parcelle-là, je ne l’ai presque pas traitée de l’année. »

Le vin avait le goût de cette liberté. Pas seulement un jus de raisin fermenté, mais une petite victoire sur la fatigue, sur l’air saturé de cuivre, sur la dépendance.

Les cépages résistants, c’est un pari. On ne sait pas encore s’ils vieilliront comme des classiques. Peut-être que dans cinquante ans, Floréal aura trouvé sa place à table aux côtés du chardonnay. Peut-être qu’on en rira comme d’une mode passagère. Mais aujourd’hui, ils incarnent une idée : que la vigne peut, elle aussi, se battre.

Et ça, ça change tout.

Parce qu’un verre de vin, ce n’est pas seulement une histoire de saveurs. C’est une histoire de résistance, au sens le plus noble. Résister au temps, aux modes, aux maladies, aux excès. Résister pour continuer à rassembler autour d’une table.

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