Le Collage du vin


Les blancs d’œufs du vin

Un jour, quelqu’un m’a dit que dans le vin, il y avait parfois du blanc d’œuf.
J’ai cru à une vanne de bistrot.
Un truc entre le calva et le comique troupier.
Et puis non : c’était vrai.

Depuis, je n’ai plus jamais regardé un œuf mollet de la même façon.

Le collage, c’est un mot qui sonne comme un bricolage. On imagine une planche, de la colle UHU, peut-être un moodboard de vigneron. En réalité, c’est un geste ancien, précis, presque alchimique.
Un moyen de rendre le vin plus clair, plus net, plus limpide avant la mise en bouteille.

Parce que le vin, après la fermentation, c’est un peu comme une conversation de fin de soirée : il reste toujours des suspensions, des flottements, des petites particules qui tournent en rond sans savoir où aller. Des protéines, des levures, des morceaux de peau, des résidus d’amour et de chaos.

Alors on fait appel au blanc d’œuf.
Un agent de paix.
Il descend doucement dans la cuve, attrape les tannins les plus durs, les impuretés, les met d’accord et les entraîne vers le fond.
Ce n’est pas de la magie, c’est de la chimie douce.

Ce rituel, on le retrouve surtout dans les vins rouges un peu jeunes ou musclés.
Le blanc d’œuf vient lisser les angles, calmer le grain tannique, arrondir la bouche.
C’est comme passer un vin rugueux dans un pull en cachemire.

Et ça laisse une trace invisible : le vin paraît plus clair, plus souple, plus prêt à être bu.
Personne ne sent l’œuf.
Il a disparu, après avoir fait le job.
Une disparition élégante, presque religieuse.

Aujourd’hui, beaucoup de vignerons ne collent plus.
Par choix philosophique, souvent.
Parce qu’ils préfèrent laisser le vin vivre avec ses petites imperfections.
Parce que “coller”, c’est aussi intervenir, lisser, adoucir – bref, contrôler.
Et que certains préfèrent le vin libre, trouble, vibrant, un peu brut de cuve.

Mais d’autres continuent, avec respect, à manier les blancs d’œufs comme on touche à un secret de grand-mère.
Il y a quelque chose de beau dans cette idée : qu’un geste de cuisine – battre un œuf, séparer le blanc du jaune – puisse encore servir à révéler un vin.
Le pont entre la cave et la cuisine.

Je repense souvent à ça quand je bois un vieux Bordeaux poli comme un galet.
Derrière sa transparence, il y a eu du vivant.
Un peu d’œuf. Un peu de patience.
Et beaucoup d’humain.



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