La dégustation à l'aveugle

Je ne reconnais plus personne, je goûte à l’aveugle

Le pire, c’est quand tu jures que c’est un sauvignon. Tu mets ta main à couper. Tu sens le buis, la feuille froissée, ce petit côté pipi de chat qu’on n’ose plus dire. Et là,on t’annonce un chenin de Loire. Vieilles vignes. Un peu de bois.

Tu souris jaune. Tu notes poliment. Mais à l’intérieur…

Un mélange de honte et de kiff.

Goûter à l’aveugle, c’est accepter d’avoir tort.

Et Dieu que ça fait du bien.

La première fois, j’étais tendu comme un bouchon de crémant mal posé. C’était un atelier entre copains, chacun ramenait une quille masquée. L’ambiance était cool, mais mon ego transpirait. J’avais cette pression idiote de devoir deviner, comme si connaître l’étiquette allait faire de moi quelqu’un.

Mais c’est là que j’ai commencé à désapprendre.

À écouter mes sens avant ma tête.

À faire confiance à mes sensations plutôt qu’à mon CV de caviste du dimanche.

Goûter à l’aveugle, c’est comme retomber amoureux d’un genre musical que t’avais snobé.

C’est réaliser que ce petit vin de coopé, discret et sans étiquette branchée, te fait plus vibrer qu’un grand cru classé.

C’est oser dire « j’aime », sans justifier.

On m’avait dit : “Le vin, c’est 80% de culture.”

Mais en fermant les yeux, j’ai découvert que c’est surtout 100% d’émotions.

Sans l’étiquette, on se retrouve face à soi-même.

Sans les appellations, les millésimes, les châteaux et les baratins, il reste une chose :

Ce que ça te fait.

Ce que ça évoque.

Un matin de printemps, un souvenir de cuisine, une chanson que t’écoutais en boucle au lycée.

Ce petit frisson dans le dos, ce silence qui suit la première gorgée.

C’est là que le vin devient vivant.

Pas quand on le décortique. Quand on le sent. Quand on l’accueille.

Goûter à l’aveugle, c’est aussi se libérer des a priori.

Moi qui avais snobé les merlots pendant des années, à force d’entendre que c’était le cépage des “petits vins de bistrot”…

Je me suis pris une claque un jour. Un verre opaque, un nez de mûre confite, une bouche caressante, tendre, presque lascive.

C’était un merlot pur, d’un vigneron un peu perché du Lot.

Et je l’ai adoré.

J’ai demandé une deuxième gorgée.

Et j’ai rangé mes préjugés.

Depuis, je fais souvent ça :

Je cache les bouteilles. Même pour moi.

Je coupe les certitudes.

Je note mes ressentis à chaud, sans réfléchir.

Et j’apprends. À chaque fois.

Ce que j’ai appris, en goûtant à l’aveugle, c’est que mon palais a plus d’instinct que moi.

Que les plus belles surprises viennent quand on ne cherche rien.

Et que le plaisir, le vrai, n’a pas besoin de CV, ni de médaille.

Juste d’un peu de curiosité.

Et d’un verre propre.

A la prochaine gorgée.

Les Dégustations Ugo

(ce soir je n’ai reconnu personne, et c’était parfait)

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